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Suspension des loyers : le torchon brûle entre bailleurs et enseignes

Une situation sous haute tension

 

[Article publié le 16/04/2020 – Mis à jour le 17/04/2020] – Sur le même sujet, lire notre article sur les dernières déclarations de Bruno Le Maire en faveur des commerçants : ICI

 

En cette période de crise sanitaire, la question du paiement des loyers commerciaux n’en finit pas de cristalliser les tensions entre bailleurs et locataires. Les dernières recommandations du Conseil National des Centres Commerciaux (CNCC) dans la relation bailleur/preneur ont provoqué un tollé général coté enseignes, à tel point que le Ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, s’en est mêlé. Condate vous décrypte une situation sous haute tension.

Face à la prorogation du confinement et des scénarios de reprise d’activité assez progressive, le CNCC a formulé le 9 avril les nouvelles recommandations suivantes « à destination de ses membres en matière de facturation et de mise en recouvrement des loyers et charges :

  • Les petits commerces au sens des ordonnances 316 et 317 du 25 mars 2020 et du décret 371 du 30 mars 2020 verront leurs loyers et charges d’avril et de mai 2020 étalés sur une longue période de 24 mensualités sans intérêt ni pénalité allant du 1er juillet 2020 à juin 2022. Pendant cette période, leurs situations économiques individuelles feront l’objet d’analyses au cas par cas, pouvant conduire à des aménagements personnalisés ;
  • Les grandes enseignes internationales et nationales multisuccursalistes doivent respecter strictement leurs engagements contractuels de long terme et régler leurs loyers et charges, d’autant plus qu’elles peuvent bénéficier de la mensualisation recommandée le 16 mars. Les bailleurs, qu’ils soient petits ou grands, chacun à leur échelle, portent de lourds investissements essentiellement financés par des dettes bancaires ou obligataires qui rendent crucial le respect des dates d’exigibilité des loyers et charges ;
  • Entre ces deux catégories, les entreprises moyennes se rapprocheront individuellement de leurs propriétaires afin d’analyser conjointement leur situation de trésorerie : pour les locataires dont la situation serait la plus tendue, le CNCC incite les propriétaires à donner suite à leurs démarches visant à réduire la tension sur leur trésorerie. Diverses options sont envisageables selon les propriétaires. Néanmoins, les charges doivent être payées aux dates contractuelles puisqu’elles correspondent à des coûts réels encourus par les propriétaires même en période de fermeture des commerces non-essentiels.»

Le CNCC demande au gouvernement que « les échéances reportées de loyers générant une créance soient couvertes par le dispositif national de Prêt Garanti par l’Etat ». En outre, le CNCC rappelle « sa demande à l’Etat et aux collectivités locales d’une année blanche dans la progression des diverses taxes foncières et taxes sur la « production », ainsi que d’un traitement approprié de ces mêmes taxes pendant les fermetures prorata temporis. Ces taxes pèsent à la fois sur les locataires et les propriétaires.»

Le CNCC lance un appel solennel aux grandes enseignes internationales et nationales et aux entreprises moyennes en bonne situation financière, pour qu’elles s’acquittent de leurs échéances contractuelles, ne serait-ce que par solidarité avec les « petits » locataires : la capacité des propriétaires à honorer leurs propres engagements bancaires et obligataires et à venir en soutien des petits commerces et des entreprises moyennes en situation particulièrement tendue en dépend.

De plus, le CNCC encourage également les propriétaires à affecter une partie des encaissements de loyers aux dates contractuelles, en provenance des grandes enseignes et des entreprises moyennes en bonne situation, à des mesures supplémentaires individuelles en faveur des locataires les plus fragilisés.

 

Les enseignes vent debout contre les déclarations du CNCC

Sans attendre, 11 fédérations majeures du commerce et de la restauration se sont fendues d’un communiqué commun contre les recommandations du CNCC (disponible en intégralité ICI). Elles y dénoncent « l’absence totale de solidarité des bailleurs qui marque un profond mépris à l’égard de leurs partenaires commerçants ».

Les fédérations estiment que les propositions de solidarité du CNCC sont « totalement inadaptées à la profondeur de la crise » et « irrespectueux au regard des efforts supportés par l’État, les commerçants et les salariés ».

Les auteurs du communiqué appellent le CNCC à revenir au plus vite sur ses recommandations et d’instaurer une véritable concertation. Ils demandent également au Gouvernement « de protéger tout de suite les commerçants en étendant les dispositions des ordonnances interdisant aux bailleurs de faire jouer les clauses résolutoires, les cautions ou garanties bancaires. Cette mesure doit permettre de se donner le temps nécessaire pour mettre en place des dispositions de sortie de crise sauvant un maximum d’emplois et de commerçants. »

Dans la poursuite de ce communiqué de presse, les 5 commerçants administrateurs du CNCC ont démissionné en bloc, à savoir, Philippe Chaumais (Maisons du Monde), André Tordjman (Little Extra – Du Bruit dans La Cuisine), Stephan Goenaga (Kiabi), Dan Ohnona (ex-Fnac Darty), Noël Moussali (Vivarte).

Dans la foulée de ces déclarations, des grands patrons d’enseignes ont pris la parole pour faire part de leur désarroi. Sur BFM Business, Laurent Milchior (co-gérant du groupe Etam) évoque une crise sur une année « qui va nous coûter entre 100 et 150 millions d’euros » de cash, hors loyers. Il demande donc un coup de pouce aux foncières et à l’Etat : « Il faut que l’Etat participe, par un crédit d’impôt, sur la période de full fermeture (fermeture complète des magasins) pour qu’on n’ait pas à payer de loyer ». Laurent Milchior ajoute : « Il faut qu’en sortant de la crise, il y ait une montée en régime des loyers qui aille avec la montée en régime du chiffre d’affaires ». Il aimerait que « cette partie-là (les loyers reportés NDLR) puisse être payée plus tard, soit lissée dans la durée. C’est ce genre d’accord qu’on doit passer avec les grosses foncières ».

De son coté, Roland Beaumanoir, patron du groupe éponyme (Cache-Cache, Bonobo, Bréal, Morgan), a adressé à Loïg Chesnais-Girard, président de la région Bretagne, un courrier à charge contre les bailleurs . Il dénonce « la position inique de certains bailleurs, souvent les foncières les plus importantes. Et rajoute « Je suis en guerre contre ces profiteurs qui ne proposent que des solutions où ils ne font que différer leur rente financière au prix de faillites retentissantes chez les commerçants et leurs salariés. »

La charge contre les bailleurs s’accroît encore ce mercredi avec la publication d’une lettre ouverte au Gouvernement signée par 200 patrons d’enseignes et 15 fédérations du commerce et de restauration (disponible en intégralité ICI). Dans cette dernière, ils exigent des bailleurs « l’annulation des loyers durant la période de fermeture, et leur indexation sur la réalité de [leur] activité dans les mois à venir. »

« On ne peut pas sacrifier aujourd’hui les commerçants pour assurer la rentabilité à court terme de l’immobilier, par ailleurs en excellente santé financière. Sans locataire commerçant demain, les locaux commerciaux ne vaudront rien. Sauver les magasins, c’est sauver l’immobilier commercial. » précise également les auteurs du communiqué.

 

Une réaction en faveur des commerçants de la part de Bruno Le Maire

Le ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire a réagi sur RMC/BFM TV à ces échanges houleux. « On parle beaucoup des banques qui doivent faire des efforts, des assureurs… Il y a les grandes foncières aussi qui doivent faire des efforts » déclare M. Le Maire.

« Les grandes foncières peuvent et doivent faire plus pour aider ceux qui ne peuvent pas payer leurs loyers aujourd’hui », a-t-il poursuivi, annonçant pour cette semaine des discussions entre les bailleurs et le Gouvernement.

En tenant ces propos, le ministre de l’Économie se porte en faveur des commerçants dans ce conflit ouvert qui risque de laisser des séquelles durables dans la relation bailleur/enseignes.

Appelé à jouer les arbitres, l’Etat est attendu au tournant dans cette situation qui s’envenime. Il doit prioritairement veiller à rétablir un dialogue apaisé entre les bailleurs et les enseignes, mais est également tenu de ne pas oublier les investissements et les engagements financiers lourds qui pèsent sur les bailleurs, petits ou grands.

 

Pour aller plus loin : Lire notre article « Bruno Le Maire intervient en faveur des commerçants » : ICI

 

 

Alexis HINGANT
Dirigeant – Associé
Mobile : 06.11.28.75.64
Mail : ahingant@condate.fr

 

 

Sources : Le Figaro, Ouest-France, Les Echos.


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